au delà du possible ( chapitre 3 " Pierre de légende")

Publié le par Anne Muller

au delà du possible ( chapitre 3 " Pierre de légende")

Au-delà du possible

La fin du long voyage arrivait. Devant les yeux des trois explorateurs, quelques fins traits de lumière perçaient enfin le feuillage serré de cette interminable forêt. Il leur semblait que des années entières s’étaient écoulées depuis leur départ.

Le petit groupe avança à travers les derniers branchages et découvrirent ce qu’ils étaient venus chercher. La paroi du pic se trouvait juste là, devant eux, noble et fier dans le méandre des ruisseaux qui s’en échappaient en une multitude de rubans étincelants dans la moiteur d’un nouveau crépuscule.

Sacha s’arrêta lorsqu’elle fut assez proche et le toisa longuement des yeux. Elle avait l'air aussi inébranlable que son nouvel adversaire, le défiant, cherchant ses faiblesses tel un gladiateur se préparant au combat.

Drackten et Balar, pendant ce temps, vérifièrent ce qui leur restait de vivres avec une expression inquiète. Le voyage avait duré plus longtemps que prévu et le peu de gibier qu'ils étaient parvenus à tuer ne les nourrirait pas plus de deux jours. Avec un soupir de lassitude, Drackten s'assit lourdement sur un petit rocher solitaire qui avait trouvé place entre deux cours d'eau. Machinalement, il plongea les yeux dans ce ruisseau. Étonné de la pureté qu'il dégageait, il intima à Balar de le rejoindre d'un signe de menton. La réaction du jeune paysan fut la même. Il observait l'eau d'un regard admiratif puis y plongea ses mains, laissant le liquide recouvrir ses paumes qu'il ramena a sa bouche délicatement.

Balar releva la tête, un filet cristallin s’échappant de ses lèvres rosies par la fraicheur de cette eau et sourit

« Je n'ai jamais bu une eau comme celle-ci, parole de Bourgueys. »

Amusé, le jeune prince renifla, puis son regard se posa sur Sacha. Elle n'avait pas bougé. On aurait dit qu'elle s'entretenait avec la roche qui s'assombrissait lentement, au rythme de la pénombre alentour qui s’étendait.

Ils l’ignoraient mais en réalité Sacha priait. Elle se questionnait au sujet de cette légende et des espoirs que le prince avait mis en elle. Le moment était venu pour elle de choisir sa destinée. Devant ce mur irrégulier fait d'une roche dure et ancienne, elle revoyait ses exploits passés, ses doutes et les morts qu'elle pleura longtemps. Toute sa vie avait été construite dans l’épreuve et la solitude. Avait-elle encore assez de force en elle pour retourner au combat ? Croyait-elle encore suffisamment en la race humaine pour revenir et défendre sa cause ? Ces pierres n’étaient-elles pas destinées à autre chose ?

Elle pesait méthodiquement le pour et le contre, fixant la falaise jusqu'à ce que son choix ne s'impose comme naturel. Elle savait à présent ce qu'elle avait à faire, mais elle n'en parlerait à Drackten que lorsque le moment serait venu.

Longtemps plus tard, la voix fébrile de la vielle guerrière provoqua le sursaut des deux jeunes hommes.

« Il est l'heure. Nous passerons si les Dieux le veulent »

Ils se levèrent d'un bond, ramassant les sacs et leurs armes en souriant. Enfin cette montagne allait leur révéler le grand secret qui se trouvait dans ses entrailles. L’excitation qui les submergeait pouvait se sentir à des mètres à la ronde et Sacha dû calmer leur ardeur d'un regard froid et sans appel.

Le message passa sans difficulté et le groupe reprit sa marche vers les contreforts des montagnes perdues, et le tunnel qui pénétrait dans le plus profond des fondations de la chaîne qui s’étendait ensuite sur une bonne moitié du continent et servant de frontière entre le monde civilisé et celui des barbares des glaciers. Des êtres primaires qui ne savaient faire la différence entre la main des dieux et un simple tour de passe-passe que les soit disant mages du sud savaient si bien sublimer par de belles paroles. Mais ils n’étaient pas offensifs. Peu de batailles eurent lieux entre eux et les gens du sud au cours de l'histoire. Ils n’étaient pas assez forts de toutes façons et auraient été purement et simplement exterminés. Cependant, il arrivait qu’ils fassent intrusion sur ces terres à la recherche de gibier ou de métaux, mais jamais ils ne parvinrent à résister aux assauts armés du royaume de Loophis.

Finalement, l’entrée du tunnel se distingua des rochers derrière un monticule qui se recourbait dans sa hauteur pour former un toit au-dessus de la longue fente soumise aux quatre vents. Elle était juste assez large pour laisser passer un humain de carrure sportive. Sacha estima les chances que Balar avait d’entrer là-dedans sans y laisser la moitié de lui-même à l’extérieur et grimaça. Alors qu'elle allait parler, un léger bruit de battement d'ailes l'interrompit. La guerrière releva les yeux et découvrit a quelques centimètres au-dessus d'elle, l'une des plus anciennes créatures encore vivante aujourd’hui.

Un long corps effilé pourvut de six membres, chacun se terminant par deux petits doigts griffus. En réalité, il n'y avait pas que ses cornes qui avaient une couleur dorée. Il était miroitant du bout de la queue, jusqu’à sa truffe aplatie. Ses cornes s'enroulaient sur les côtés de son crâne en d’élégantes spirales qui se terminaient en redoutables pointes.

Il n'avait pas l'air agressif. Plutôt... curieux. Il voletait autour de Sacha, inclinant la tête à droite ou à gauche de façon aléatoire. L’étrange animal lança un regard désintéressé pour les hommes avant de reporter toute son attention sur elle. S'approchant encore, il maintint sa position juste en face de son visage et ouvrit la bouche.

« Qui es-tu ? » Sacha leva un sourcil. Elle n'avait jamais entendu dire que les gardiens parlaient ?

Ne sachant que répondre, elle choisit la vérité en réponse à la délicate et harmonieuse voix

« Mon nom est Sacha »

« Sssssssssssachhhhhhhhhhhha » l'animal ricana quelque secondes avant de reprendre un air sérieux.

« Que veux-tu ? »

« Je souhaite entrer »

D’un bond, la créature monta dans les airs, puis tournoya sur elle-même comme si une main invisible venait de lui piquer l’arrière train. Elle émit un son suraigu avant de revenir comme si de rien n’était sous le regard interloqué de la vieille femme, puis reprit

« Tu ne peux entrer »

« Pourquoi ? »

« Es-tu digne d'entrer ?»

« Je le pense »

À nouveau le gardien recommença sa danse mystérieuse, puis revint à sa place. Sacha comprit. Chaque mauvaise réponse ou mal formulée provoquait cette réaction. Cet animal n'attendait pas ce que l’on pensait pouvoir faire, mais ce que l’on voulait vraiment.

« Je DOIS entrer et oui, je suis héros de Loophis, digne de cet honneur ! Maintenant laisse-moi passer »

« Héros héros héros hérooooooooooooos ? Fais voir ! »

Agacée, la vieillarde leva les yeux au ciel. Elle était déçue de cette rencontre et s'attendait à quelque chose de plus épique. Mais l'animal venait de lire dans ses pensées et y décrypta sa vie toute entière.

Qu'y puisa-t-il pour réagir de la sorte ? Difficile à dire. Un tout, une pensée, un amour et une trahison impardonnable.

Venue de l’intérieur du corps du gardien, une lumière dorée jaillit et envahit la gorge toute entière. Il grandit et changea de voix. Ce n’était plus la petite créature attendrissante qui se trouvait devant le groupe qui venait de se resserrer, mais un immense serpent d’or aux larges ailes translucides et aux lourdes pattes qui s’enfonçaient dans le sol pourtant tassé.

La voix puissante s’éleva, grave et séduisante

« Seuls les élus ! Peuvent pénétrer et voir la pierre de légende. Es-tu élue des dieux, Sacha de Virevent ? »

Les deux hommes s’effaçaient derrière leur protectrice. Ils allaient mourir ici, c’était certain. Mais elle ne recula pas. D'un pas décidé, elle avança vers l'entrée que protégeait le serpent devenu menaçant.

« Les dieux nous ont abandonnés ! Je suis l'élue de ma race et tu devras t'en satisfaire. Toi créature d'un dieu qu'il a peut-être abandonnée ici avec nous ! »

Il ne réagit pas et conservait son attitude terrifiante quelques secondes encore. Ses yeux pénétraient profondément les pupilles de Sacha qui ne cédait rien et défiait la chimère de son aura resplendissante. Il fouillait les moindres recoins des pensées de la vieille femme méthodiquement.

Puis il se détendit et sourit, avant de partir d'un doux rire grave et apaisant.

« Alors entre. Entre et affronte ton destin, héros de Loophis. Mais n’espère rien de la mort »

Elle inclina la tête et pénétra dans le boyau sans se retourner. Cette bête lui avait pressé le cerveau jusqu’à en sortir les plus profonds souvenirs de sa vie et les plus affreux moments de son existence. A ce moment précis, elle se battait contre ses vieux démons et tentait de refermer les portes qu'elle avait mis tant d'années à bâtir, marchant droit devant elle.

Drackten et Balar la suivaient, se retournant souvent au cas où le serpent les aurait suivis pour les dévorer au calme, mais ils ne voyaient qu’une légère lumière filtrer depuis l'entrée. Était-il réel ?

Se consultant du regard, ils suivaient Sacha dans cette demi-pénombre, enjambant de gros cailloux qui parsemaient le chemin. On pouvait entendre le bruit du ruissellement des eaux dégouliner le long de parois, mais au loin, le son se muait en cascade dont l’écho allait et venait aux grés des volumes de la large caverne dans laquelle le groupe venait de pénétrer.

Sacha la première, s’arrêta au bord du lac souterrain, bientôt imitée par ses deux comparses.

Balar balaya ce décor étrange des yeux, forçant sur sa vue pour discerner les détails presque invisibles, l’angoisse montante. Il retourna la tête vers la sortie, certain que le reptile les avait rejoint. C’était sûr, ceci était son antre, et il les avait piégés.

Mais aucun mouvement ne trahissait la présence de quiconque, ni aucun bruit autre que celui de l’eau. Il se détendit et posa les sacs près des rives.

« Alors ? que fait-on ? »

Drackten dégagea son épée au cas où, sur le qui-vive. Evidemment, maintenant le combat allait commencer. Quelque chose devait garder ce lieu et ce n’était pas le moment de faiblir. L’humidité ambiante donnait la caverne une impression de soir d’orage et tout ici suintait ou coulait vers les eaux opaques qui dormaient à leurs pieds.

L’attente était interminable. Sacha observait chaque détail, chaque forme et toutes les excroissances qui entouraient le lac. Jusqu’ici rien d’anormal ne la choquait, il ne s’agissait que d’une simple nappe, mais quelque chose la dérangeait.

Elle ôta ses bottes et entreprit de s’enfoncer dans l’eau sous les plaintes inquiètes de ses amis.

Elle était glaciale. Comme venue des profondeurs de la terre. Pourtant elle lui semblait étrangement huileuse, et les remous que son avancée provoquait ne semblaient pas naturels.

A bout que quelques centimètres, elle avait déjà atteint une profondeur inattendue. L’eau lui arrivait à la taille, alors qu’elle n’avait progressé que peu, il lui semblait qu’elle pouvait tendre la main pour toucher la rive. Les deux hommes, eux, restaient au bord, prêts à plonger au moindre signe d’attaque.

Mais contre toute attente, ce n’est pas une créature hideuse qui se tapissait dans le fond de cette étendue. En son centre, les remous redoublèrent pour former une sorte de cône ondulant. On distinguait alors une forme se soulever au-dessus de la surface. Harmonieuse. Envoutante.

Une femme peut-être, ou un être humanoïde aux contours parfaits. Elle n‘était pas faite de chair, mais d’une matière qui glissait sur elle comme de l’huile sur les parois d’une cruche en terre cuite. Drackten avait déjà vu ce genre de chose lors des fêtes des oliviers qui avaient lieu chaque année dans son royaume. Sacha de son coté, venait de faire le même rapprochement. Attirée comme par un aimant, elle continuait son approche. L’inclinaison du fond devait être stable car elle ne s’enfonçait plus. Pas à pas, elle rejoignit l’être qui attendait sans bouger.

Face à celui-ci, elle se figea et se laissa une fois de plus sonder jusque dans ses plus intimes souvenirs. Elle savait que c’était que qu’il attendait. Quelques temps plus tard, une voix cristalline résonnait dans la caverne, emplissant les âmes des trois amis de chants mystiques, comme si une chorale venait de commencer son récital. Il ne parlait pas, il chantait.

« Sacha de Virevent, sache que les dieux n’ont pas abandonné ton peuple. Sache qu’ils veillent et compatissent. Sache qu’ils sont tout et rien. L’air et le vent. Les eaux et les océans. Le froid et la chaleur. La lune et le soleil. Partout, où que tu poses les yeux, ils sont là et te jugent. Toi, et les tiens »

Sacha explosa

« Alors qu’avons-nous fait pour mériter pareil sort ? »

« Vous ? » la créature ricana, amusée. Sacha, concentrée pour contenir sa colère ne comprit pas immédiatement qu’elle venait de refuser une offre unique. Son esprit expérimenté et endurcit pourtant, venait de sonner le signal d’alarme. Elle observa l’être immatériel dont la couleur devenait la même que celle qui sublimait son gardien. D’innombrables veinures dorées naissaient sur ses contours et dans son corps. Elle était sans nul doute la plus belle chose qui avait été offert à la veille femme de voir. Elle s’apaisa immédiatement devant les marbrures étincelantes qui l’englobaient maintenant. Drackten choisit ce moment pour retrouver sa protégée. Il se figea devant la forme et prit la parole

« Je suis Drackten, fils de.. »

« Je sais qui tu es » les yeux de la chimère se posèrent en un instant, vifs et inquisiteurs sur le prince désarmé.

« Recule car tu n’es pas concerné par le pacte »

« Quel… Pacte ? »

« Recule » la sublime voix devenait menaçante, et son chant de mua en un sourd hurlement bestial. Sacha posa une main fébrile sur le bras du prince. D’un coup de menton, elle lui indiqua la berge sans mot. Drackten ne put qu’obéir, mais à contre cœur. Il retrouva Balar qui attendait en se tordant les doigts, les pieds dans l’eau.

Un dialogue muet s’instaura entre les deux hommes tandis que les négociations reprenaient.

« Alors, Sacha ? Que dis-tu de mon offre ? »

« J’accepte »

La créature sourit largement, Sacha pouvait la voir maintenant. C’était une déesse restée sur terre pour protéger le joyau qui résidait au fond de ce lac.

Un nouveau cône liquide se forma devant elle, plus petit, et laissa apparaitre en son sommet, une semi-couronne finement ciselée. Deux pattes reptiliennes se faisant face et dont les griffes retenaient une pierre aux couleurs ambrées. Elles bougeaient dans leur prison, et dansaient, se mêlant à une matière sombre qui semblait les repousser.

Sacha tendit ses mains devant elle et laissa le bijou se déposer sur ses paumes ouvertes, respectueusement.

« Va. Et acquitte toi ensuite de ta promesse. »

Sans un mot, Sacha recula, tenant la couronne à bout de bras, laissant la déesse retourner dans son antre puis elle se retourna vers ses deux amis une fois la berge retrouvée.

Drackten n’en pouvait plus.

« Quel pacte ? »

« Celui que j’ai fait le jour où nous avons quitté ma ferme, jeune homme. Ceci me concerne. »

« Mais.. »

« PAS … de... mais. »

Balar comme à son habitude, décida de ne pas interférer dans ces échanges trop complexes pour lui, et hors de sa portée. Il aimait rester à sa place. Une place secondaire peut-être, mais il se tenait prêt. Le jour où elle aurait le plus besoin d’aide, il serait là.

Il reprit ses affaires et attendit que le départ ne se décide, stoïque.

Avant de partir, Sacha avait une dernière chose à faire. Sans plus attendre, elle posa le bijou sur sa tête.

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